Ce post inaugure un série de quatre articles consacré au son dans l’urbanité. Pourquoi commencer par le son ?
Des six principaux sens identifiés par la neurophysiologie (odorat, somesthésie, goût, ouïe, vue et proprioception), l’ouïe est celui qui revêt le caractère le plus important chez moi.
Je suis en effet un enfant de parents sourds (surdité pathologique dans leur cas et non pas congénitale). Paradoxalement, l’ouïe est devenue chez moi le sens probablement le plus développé. J’ai ce qu’on appelle communément l’ouïe fine, et les audiogrammes que j’ai pu passer ont confirmé mes impressions.
Bien qu’on imagine un environnement comme celui dans lequel j’ai grandi comme un « monde du silence », il n’y a en réalité pas grand chose de plus bruyant au quotidien qu’une maison habitée par des sourds. Quand ce ne sont pas des éclats de voix à chaque conversation ou des fracas de portes qui claquent, c’est le silence qui se transforme en haut-parleur et , par contraste, rend le moindre bruit insupportable. En plus d’un état d’hypervigilance nocturne, j’ai donc développé une tendance à la misophonie. Vivre en ville est parfois difficile pour moi, et je cherche régulièrement la tranquillité, le silence. Le son – nous reviendrons sur la notion de bruit – j’aime choisir sa présence, son volume, son impédance, son absence, sa « qualité », sa fréquence (au sens propre comme figuré).
Le son est également un élément vital, de sécurité, pour moi, puisque, cycliste urbain, je roule « à l’oreille » plus qu’à la vue (bien qu’au fond la proprioception soit autant impliquée dans ma façon de pédaler et de rouler dans le trafic que l’ouïe) : les déplacements d’air et la propagation du son sont pour moi des mystères dont ma vie dépend.
Puisque l’urbanité sensorielle est un des domaines sur lesquels je souhaite attirer l’attention, il m’a semblé donc évident de commencer par l’ouïe. Comment l’ouïe impacte-t-elle sur la pratique de la ville ? Comment les sons citadins (je reprends ici la distinction urbain-citadin proposée par Thierry Paquot) sont-ils perçus, vécus ? Quelles représentations véhiculent-ils ? Et, in fine, la façon dont les logements, les villes et les territoires sont conçus est-elle adaptée ?
Pour répondre à cette question, j’interrogerai 3 manières d’entendre. Le prochain post portera particulièrement (les discussions se faisant à bâtons rompus, il est acquis que nous déborderons à chaque fois du sujet) sur les perceptions, les représentations, les revendications d’un citadin hypersensible et sur la notion d’oreille morale.
Le troisième volet s’attachera à recueillir le point de vue d’un « néo-rural », enfant de la ville parti s’installer à la campagne, et dressera un état des lieux des différences sonores tangibles entre la ville et la campagne. Sa formation d’ingénieur du son amènera qui plus est un regard d’expert sur les questions d’acoustique.
Enfin je terminerai mon polyptique par l’idée qui est à l’origine de ce dossier, un entretien qui me tient particulièrement à coeur, et qui étudiera la question par sa négation : comment les sourds vivent-ils la ville ?
L’objectif de cette série d’articles est bel et bien d’ouvrir une discussion, de donner des clés d’analyse et de compréhension, et d’apporter des témoignages. Elle n’a aucune ambition scientifique, aucune volonté de démonstration. Comme l’ensemble des publications ici, je l’espère, elle sera humble.
Prolonger la réflexion : http://www.demainlaville.com/chasser-bruit-ville/