Trois semaines se sont à peine écoulées en 2018 que l’un des challengers au mot de l’année a pris une avance considérable. Pas un jour en effet sans que ne soit abordée la #SmartCity. Smart City, vous dites ?
Wikipédia la définit comme « une ville utilisant les technologies de l’information et de la communication pour « améliorer » la qualité des services urbains ou encore réduire ses coûts. » On notera que l’amélioration est sujette à guillemets. Ailleurs sur les internets, dans des espaces numériques moins objectifs, on peut lire « optimisation », « bien-être », « ambition », « évolution », service », bref un champ lexical hagiographique.
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Passion étymologie
Et pourtant, la #SmartCity, cette « domotique » urbaine, est déjà sous le feu des critiques : elle serait un outil de surveillance (France Culture y consacrait même récemment une émission plutôt…angoissante), ou bien ontologiquement inégalitaire.
On traduit d’ailleurs trop facilement « smart » par « intelligent-e ». Si connectée rend plus justice à la réalité d’une #SmartCity, le terme est certainement moins vendeur. Et l’étymologie nous apprend beaucoup plus sur le choix de ce terme. Smart dérive en effet du vieil anglais smeortan, dont le sens originel est causing sharp pain, autrement dit qui cause une douleur aigüe. Étonnant non ?
Aussi, propose-je le terme de maligne, autant dans son sens de ruse, d’astuce que de malveillance.
Je ne suis pas moi-même, on l’aura compris, un fervent défenseur de la Smart City. Bien sûr, elle a des vertus potentielles, mais deux problèmes me semblent insurmontables :
- La #SmartCity s’est imposée dans nos vies sans aucun débat démocratique. Autant les données utilisées (à qui appartiennent-elles), que leur usage, et les outils qui vont de pair. Y a t-il eu un débat démocratique sur les compteurs Linky rendus obligatoires ? La haute technologie, quand bien même serait-elle open source, n’est ni conviviale, ni démocratique – elle nous rend dépendants d’elle-même et entrave l’autonomie.
- Et puis, il y a sa faiblesse principale : qui dit #SmartCity dit outils numériques. Or, face à la problématique de raréfactions des ressources (on parle souvent du pétrole, en négligeant trop souvent la question des terres rares, et l’impact du réchauffement climatique sur les fermes de serveurs informatiques, entre autres), l’avenir, du moins l’avenir « durable », n’est pas à la technologie – ou alors à un retour des low-tech guère compatible avec une gouvernance numérique de la ville.
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Dès lors, la #SmartCity ne me semble pas « intelligente ». Il en va pour moi de la ville comme de la personne humaine : l’intelligence c’est aussi et surtout une question d’agilité (particulièrement au sens d’adaptation à son environnement – elle est donc situationnelle), de bienveillance (inclusive, équitable, sobre) et de résilience, capable à la fois de se relever d’un traumatisme comme d’anticiper en douceur les changements à venir – le tout démocratiquement.
Une ville intelligente ce serait donc ça : une ville qui se réinvente, à coups d’initiatives citoyennes, de projets low-tech à basse entropie, d’économie circulaire, de DIY ; une ville, au final, open-source, aux codes ouverts à tous, modifiable et transposable.
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Quelques exemples de ville Open-Source
Bourg-palette
C’est ici que les arbres viennent se réincarner. Si Bourg-Palette est le village de départ des joueurs de Pokemon, elle est aussi, désormais, cette chouette métropole où on l’on pratique le détournement de palettes de transports en mobilier d’intérieur et de plus en plus en mobilier urbain. Mais, victime de son succès, non seulement Bourg-Palette a vu sa démographie exploser et son centre-ville se gentrifier mais surtout son activité économique est mise à mal par la demande trop pressante.
Hacker Valley
Hacker Valley est l’agglomération qui s’est construite autour du coeur historique de Bourg-Palette. Hack Valley est le centre névralgique de l’innovation et du détournement, qui applique les idéaux de sa ville-centre à l’ensemble de la fabrique urbaine. Ici, tout le monde résiste. On a laissé les caméras de surveillance s’installer pour mieux les dénoncer, on a rhabillé les cabines téléphoniques en bibliothèques plutôt que de les mettre au rebut, et les idées comme les modes d’emploi se diffusent librement.
Guerilla Jardiland
Non loin de là, Guerilla Jardiland se veut une ville verte, défendant la droit à la terre, refusant de participer à l’hégémonie d’une civilisation hors-sol. Commune indépendante (pour échapper à la législation française) et capitale auto-proclamée des Incroyables Comestibles, on y jardine librement le moindre espace disponible, plantant (et récoltant) au gré des saisons et des envies de quoi embellir et nourrir la ville. La légende veut que les arbres sont heureux à Guerilla Jardiland, ayant tout l’espace pour étendre leurs racines et leurs couronnes, et que le bitume, jaloux de l’attention portée à la flore, se fissure de lui-même pour apporter aux guérilleros un nouveau terrain de jeu.
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Il existe bien d’autres villes open-source , mais aucune n’est aussi réelle que Detroit. Incarnation douce-amère des villes en décroissance (qui feront l’objet d’une publication prochaine ici-même), Detroit est aujourd’hui un laboratoire urbain, synthèse concrète des urbanités parcourues au-dessus, théâtre d’expérimentations sur la résilience d’une grande ville, l’agriculture urbaine, la débrouille et la participation citoyenne réelle.
Detroit, l’anti-smart city, mais ville open-source archétypale !
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City of dreams