[Humeur] La voiture autonome, un véhicule pour la transition écologique ?


A l’occasion de l’annonce d’une conférence du Forum des Vies Mobiles il y a quelques mois, j’ai eu un échange poussé avec une collègue sur l’impact du véhicule autonome sur la transition écologique (qui est, elle, persuadé que oui, la voiture autonome permettra une transition écologique sous réserve qu’on trouve comment réduire le nombre de voitures sur les routes). Ca m’a permis de mettre par écrit ma vision des choses et d’ordonner une mosaique d’arguments.

En matière de mobilité comme d’écologie, tout est question d’échelle :

A l’échelle de l’individu, il est frappant de constater que, de tous les indicateurs utilisés pour mesurer les pratiques de mobilité (nombre moyen de déplacements quotidiens, temps quotidien passé dans les transports, distance quotidienne parcourue, budget transport), le seul qui augmente considérablement depuis 30 ans est la distance. C’est-à-dire qu’à coût quasi égal, et surtout à temps égal, on parcourt plus de kilomètres. L’augmentation technique de la vitesse n’a pas réduit le temps que nous passons dans les transports, il a simplement permis de vivre plus loin de son lieu de travail (ou réciproquement) et de partir pour de courts séjours plus facilement. C’est une des manifestations de l’effet rebond. De même que la machine à laver a permis (et c’est tant mieux) de laver son linge plus souvent parce que c’était plus facile, et que les milliards d’euros dépensés par l’Allemagne dans la rénovation énergétique des logements n’a pas permis de réduire la consommation électrique parce que les gens se sont mis à chauffer plus pour le même prix, on peut craindre que le fait de ne pas avoir à tenir le volant, et pouvoir par exemple travailler dans sa voiture, démultiplie le nombre de trajets, ou à tout le moins, ne fasse pas diminuer les trajets.

 A l’échelle d’une ville ou d’un territoire, évidemment, une voiture, quelle que soit sa propulsion (hydrocarbure, électricité ou hydrogène) et son pilotage (humain ou automatique), reste une voiture, avec son impact sur la forme urbaine, la répartition de l’espace public et les rapports de force entre les usagers… Sans parler de la difficile (techniquement) cohabitation entre véhicules autonomes et véhicules « normaux ».

On pourrait miser en effet sur une réduction du parc automobile. Pourquoi pas. Je demande quand même à voir. Dans un pays comme le nôtre, où pendant des décennies, l’Etat a été un fabricant de voitures et un exploitateur pétrolier jusque dans les années 90, où le désir de propriété privée est fortement ancré dans l’imaginaire collectif et où on nous rebat les oreilles avec le chantage à l’emploi, je ne crois pas (oui, c’est une croyance, sur ce sujet) que l’on assiste un jour à l’avènement d’une société où le fait d’utiliser plutôt que d’avoir une voiture soit valorisé.

A l’échelle de notre société, d’ailleurs, il n’y a pas vraiment de débat démocratique au sujet de la voiture autonome. Comme dans la très très grande majorité des innovations technologiques, le changement est imposé selon le principe du push plutôt que du pull : on crée un outil avant de créer un usage, une offre avant une demande. Si, comme toi, le véhicule m’arrangerait beaucoup, je sus perplexe sur le fait que ce soit une innovation globalement très attendue. Ce n’est pas très important puisque dès que des voix s’élèvent contre une innovation on brandit la nécessité du progrès (qui n’a rien a voir avec l’innovation) et de nouveau, l’emploi.  En revanche c’est assez grave. De mon point de vue, il ne peut pas y avoir de transition écologique sans réelle démocratie, et encore moins sans justice sociale – de ce point de vue le véhicule autonome n’est pas prêt d’avoir un taux de pénétration proche de celui de la voiture à essence classique.

Pour la planète dans son ensemble, enfin, il y a bien sur le questionnement sur les ressources (matérielles, énergétiques, financières et humaines) allouées au projet (et qui ne pourront pas être fléchées vers des projets plus vitaux) – par ailleurs, on ne pourra pas, ni financièrement, ni humainement, développer à la fois l’électrique, l’hydrogène et l’autonome, il faudra faire des choix.

On parle toujours de la crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité, beaucoup moins du mur qui nous attend en matière d’énergie et de ressources. De ce point de vue, la voiture, quelle que soit sa propulsion et son pilotage, ne sera jamais un outil de transition écologique.

Un compromis serait sans doute plutôt d’orienter la r&d vers des méthodes de prolongation de la durée de vie des véhicules aujourd’hui sur les routes, et si vraiment collectivement on pense que le véhicule autonome est nécessaire, travailler à la transformation des véhicules existants – pas construire des nouveaux modèles rendus obsolètes tous les 5 ans par la technique, la publicité et les organismes de crédit. La meilleure manière de réduire à long terme le nombre de véhicules, et donc d’enclencher une transition écologique (pasplement énergétique donc), c’est encore d’arrêter d’en produire (et d’en vendre), autonome ou pas, et d’en assumer politiquement les conséquences…mais même moi je n’y crois pas.


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