Une enfance havraise
J’ai grandi au Havre. Adolescent, je prenais le bus pour aller au lycée. J’ai alors fait ma première découverte de ce que l’on appelle désormais le street art. En effet, tous les jours, je voyais par la fenêtre du bus cet œuf sur le plat à la mouche qui ornait le portail du Mamy Blü. Ainsi, avant le passage de l’an 2000, les murs de la ville ont vu apparaître les Gouzous malicieux de JACE. L’humour de ces dessins m’a tout de suite touché. J’adorais les découvrir au détour d’une rue. Je m’amusais à observer comment le graffeur avait utilisé là un soupirail, là un coffre électrique, pour inclure le paysage urbain dans ses dessins.
Ne cherchez plus le graff de l’œuf (peint aussi par JACE). Il a aujourd’hui disparu, tout comme un grand nombre de Gouzous de mon adolescence.
Le street art est illégal. Que ce soit un graff, une fresque ou un simple blaze taggé, tout ajout de peinture sur un mur qui ne nous appartient pas relève du Code Pénal. Tel est la principale cause de la disparition de ces Gouzous. À l’époque, j’avais acheté la première compilation proposée par Jace, « Défense d’afficher ». Je me rappelle surtout que je me sentais un peu honteux dans les rayons de la Galerne avec ce livre entre les mains ! L’image du street art était ainsi : même acheter un livre de photographies me semblait être à la limite de la légalité !
Amusé par les Gouzous, j’étais, parallèlement, totalement hermétique aux autres manifestations du street art. Mes nombreux trajets de train entre Le Havre et Paris m’ont permis de voir, le long des voies ferrées et en entrées de gares, un grand nombre de tags et lettrages. Je les trouvais particulièrement moches. Ils m’indifféraient.
Cela a longtemps été ainsi. Lorsque je voyais un graff, il pouvait me faire sourire s’il était bien amené. Ou, au contraire, il pouvait me laisser totalement indifférent ! Mais, dans tous les cas je l’oubliais rapidement car je ne le considérais pas comme autre chose que de la peinture sur un mur.
La découverte roubaisienne
Arrive ce jour où je fais un voyage à Roubaix. Il faut avouer, au départ, que passer un week-end à Roubaix peut paraître étonnant ! Surtout que la ville est globalement à l’image de celle que l’on peut initialement imaginer. Beaucoup de lieux délabrés, des commerces abandonnés, des rues majoritairement vides même un samedi.
Néanmoins, intégrés à toute cette ambiance plutôt désolée, des graffs de LEM, des collages de Sara Conti, des fresques de Benjamin Duquenne… Ce fut alors comme un déclic pour moi. Est-ce que la misère initiale d’un lieu peut être transcendée par de la bombe aérosol ? Est-ce que le street art peut apporter de la beauté à des murs qui se fissurent ?
Bien évidemment !
LEM – Benjamin Duquenne – Sara Conti (Roubaix)
J’ai adoré arpenté les rues de Roubaix juste pour le plaisir des yeux ! Pour moi, il n’y avait plus de doute : dans « street art », il y a le mot « art » ! Tout ce que je voyais était réalisé par de véritables artistes. Que ce soit par le collage ou de la peinture directement sur les murs, le street art permet aux passants de découvrir des installations artistiques qui sont, le plus souvent, totalement intégrées aux murs de la ville. Elles font parties de la ville. Elles sont la ville !
Un graff est rarement là par hasard. L’artiste a souvent mûrement réfléchi le lieu de son expression. Il raconte une histoire. Parfois discret, l’amateur se doit d’ouvrir l’œil pour le découvrir. Et tant pis pour ceux qui sont indifférents !
Partager ses découvertes
Dès lors, c’était devenu évident pour moi qu’il fallait transmettre ces différentes formes d’art. À chaque balade, ses nouvelles œuvres. Je me promène et, là où je ne m’y attends pas, un graff interpelle mon œil. Le photographier est devenu un réflexe.
Pourtant, je ne suis pas photographe. Je ne prends presque jamais de photographies. Je ne les trie pas. Je ne regarde pas d’albums photographiques. Mais je me suis mis à photographier toutes les formes de street art que j’ai pu croiser. Systématiquement.
J’ai choisi de les partager sur Facebook car beaucoup de personnes de mon entourage s’intéressent au street art. Je voulais qu’elles puissent faire avec moi ces découvertes lors de mes escapades.
Paradoxalement, il y a une ville dont, initialement, je ne publiais pas les photographies sur Facebook. Cette ville, c’était Le Havre. Tout simplement parce qu’il existe déjà des pages sur ce réseau qui compilent admirablement la scène havraise.
Néanmoins, derrière ses têtes de gondoles que sont JACE ou TEUTHIS, la cité océane regorge de manifestations artistiques sous les formes les plus variées. Graff, collage, pochoir, lettrage, sticker, yarn bombing apparaissent et disparaissent à vitesse régulière. Le street art est souvent si éphémère qu’il fallait aussi que je partage mes découvertes havraises. À nouveau, je souhaitais que mes contacts puissent admirer une installation avec qu’elle ne disparaisse.
JO – LHINSTIT – Les Amarts (Le Havre), du street art aujourd’hui disparu
Chasse au trésor
Pour photographier du street art, il faut parfois être rapide ! Je suis abonné à un grand nombre d’artistes sur les réseaux sociaux. Lorsqu’ils publient des images de nouvelles œuvres, c’est alors un véritable jeu de piste qui s’annonce pour moi. Le lieu est souvent non indiqué. À travers la connaissance de spots consacrés au street art ou la reconnaissance des bâtiments adjacents, je cherche alors des indices et me prends au jeu. Chercher devient alors prétexte à la balade urbaine.
LUSO (Le Havre) – une chasse au trésor récente : retrouver où a été posé ce graff
C’est ainsi que j’ai découvert certains lieux d’entraînement des adeptes du lettrage. Là aussi, il faut être rapide car, d’une semaine à l’autre, les murs changent au gré de l’inspiration des graffeurs ! Et, en toute honnêteté, je n’arrive pas à suivre !
En revanche, je reste encore hermétique aux lettrages car la plupart des auteurs me sont tout simplement inconnus. Et c’est le propre de ce genre d’art : le désir de se faire comprendre que par les érudits. Néanmoins, au détour d’une rue, j’ai un petit sourire lorsque je reconnais un JOLEK ou un MYKSE sur les mur havrais.
Transmettre l’éphémère
Aujourd’hui, le street art vit un grand paradoxe. Il est illégal sur les murs, autorisé lors des grand-messes artistiques, présent et côté dans les galeries d’art. Bref, quel place pour lui ?
Pour moi, il est un grand générateur d’idées que l’on ne peut pas encore trouver dans les musées. Totalement intégré à la ville, il permet à ses habitants de s’exprimer, de montrer des pratiques innovantes, voire de parodier ces œuvres qui, justement, sont dans des musées.
Néanmoins, il ne plaît pas à tout le monde, il ne plaît pas au législateur. Il disparaît donc au gré des humeurs des propriétaires de murs blancs ou gris. À l’inverse, il peut plaire énormément. Et il peut alors disparaître rapidement, volé. Voire, finalement l’artiste a lui-même recouvert sa peinture pour une nouvelle œuvre !
JOLEK (Le Havre) – une semaine sépare ses deux photographies, il faut souvent être rapide !
Dans tous les cas, il me paraît alors nécessaire de capter ces manifestations artistiques. Après les avoir aimer, je me dois de les partager. Par définition, cet art est éphémère. Pour autant, il ne doit pas être oublié.
Texte et photos Julien BN
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Une réponse à “Transmettre l’éphémère”
Super texte, je me retrouve complètement ! Cette envie de conserver une trace de l’éphémère, c’est tellement ça !